(c) Lou Hérion
(c) Lou Hérion

Puisant son inspiration dans l’imaginaire et les thématiques du cinéma muet expressionniste allemand, « Monstres ! » est un conte noir et burlesque.

Parmi les influences, citons notamment : Frankenstein de M. Shelley, Le Cabinet du Dr Caligari de R. Wiene, Elephant Man de D. Lynch, Freaks de T. Browning, Vincent de T. Burton, les pièces du répertoire du Grandguignol…

 

Le code de jeu s’inspirera du cinéma muet : grande expressivité, pantomime, musique narrative (jouée en direct), répliques projetées sous forme d’intertitres ou « cartons », etc[1]. Le spectateur sera ainsi plongé dans un univers décalé et poétique, et voyagera entre le rire et la peur.

 

L’histoire retrace le parcours d’un être « différent », craint, rejeté par tous, qui fait la rencontre d’humains souvent bien plus monstrueux que lui. Elle met en lumière nos a priori, nos comportements quotidiens et leur monstruosité. Le thème de la peur de l’autre et celui de nos démons intérieurs seront ainsi mis en abîme à travers le prisme déformé d’un monde expressionniste en posant la question suivante : Qu’est-ce qu’un monstre ?

La forme du conte permettra d’utiliser les personnages comme symboles ou archétypes, afin de faire naître de leurs confrontations un débat autour de la question de la monstruosité, de ses origines et de ses conséquences.

 

La distribution sera mixte et réunira un acteur sourd et trois acteurs entendants. Les sourds qui pratiquent la langue des signes développent inévitablement une qualité de précision, d’expressivité et de dimension du geste qui trouve naturellement sa place dans ce projet[2].

 

L’intitulé « Cinéma Muet » est, en soi, un contresens. Lorsque nous assistons à la projection d’un film dit « muet » ce ne sont pas les personnages qui sont privés de parole (au contraire ils parlent, en général, beaucoup), mais bien le spectateur qui se retrouve incapable de les entendre. La question du langage (ou plutôt de l’absence de langage) est donc fondamentale. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de la prendre en compte dans la conception même du projet, en travaillant en collaboration avec la communauté[3]sourde.

 

Nous ouvrirons régulièrement les répétitions à des groupes de personnes sourdes et entendantes et ce dans un double objectif. Le premier sera de permettre à ceux-ci d’assister au processus créatif. Ils auront l’occasion d’intervenir directement sur celui-ci, notamment en dialoguant avec les acteurs sur la lisibilité de la fable et des situations. Le second sera de faire de ces répétitions ouvertes des espaces de rencontre et d’échange entre les différentes communautés.

D’autre part, des rencontres avec l’équipe artistique seront organisées le plus souvent possible à l’issue des représentations. Elles permettront d’ouvrir le débat, notamment sur la question de la normalité et favoriseront les rencontres entre les publics.

 

Enfin, le spectacle sera traduit en audio-description pour le rendre accessible aux personnes malvoyantes.

 

Le langage exclusivement visuel et musical du spectacle le rendra accessible à tous les spectateurs, qu’ils soient valides ou atteints d’un handicap sensoriel.

 

Je souhaite questionner notre rapport à la différence, mais également profiter d’une forme populaire pour ouvrir au théâtre et à l’histoire du cinéma.

 

 Frédéric Ghesquière

Juin 2013



[1]J’ai eu l’occasion d’expérimenter ce code de jeu à deux reprises, notamment dans le cadre d’un projet réalisé au sein de l’ESACT (conservatoire de Liège).

[2]La notion de Gain Sourd ou Deaf Gain est précisément basée sur le fait que les sourds développent une culture spécifique et que la rencontre avec celle-ci est source d’enrichissement mutuel.

[3] Le mot est ici à prendre au sens linguistique.